mardi 29 avril 2014

[Critique] Marienbad – La ballade du temps qui passe

Le jardin
Bienvenue au théâtre

Il est des expériences dont on garde à jamais le souvenir halluciné. Des rêves mystiques que l’on avait pas prévus, que l’on avait pas voulus mais que l’on ne veut pour rien au monde oublier.

En 1961, Alain Resnais a 39 ans. En 2011, il en a 89, il mourra 3 ans plus tard. En 2011, j’ai 21 ans, je rentre de soirée, j’arrive chez mes parents, usé, las, alcoolisé : ce matin de 2011, je ne veux que dormir… mon père décide de me montrer L’année dernière à Marienbad… j’entre dans un tunnel cosmique d’une heure trente.

Dans un état second, je vois défiler un plafond, puis des colonnes, des couloirs en noir et blanc. Un homme narre ce que je vois, il le met en relief... il faudra près de 4 minutes pour que le rideau du drame ne se lève (au sens propre, le public assiste au début d’une représentation).

Couloirs de Marienbad
Dans ces couloirs gris, vers ces portes blanches

Ce qui nous a été présenté, c’est la scène : le Grand Hôtel de Marienbad. Dans cet hôtel, un homme va tenter de convaincre une femme qu’ils se sont aimés l’an dernier. Dans des tableaux fixes (salles de réception, jardins, couloirs), présentés dans une temporalité décousue, le discours de l’un brouillera les certitudes de l’autre. Autour d’eux, la bourgeoisie oisive, orgueilleuse et surannée de Marienbad se promène, joue, observe, surveille, juge, condamne.

L’année dernière à Marienbad est une tentative d’adaptation cinématographique du Nouveau Roman, un mouvement littéraire de la deuxième moitié du XXe siècle qui remet en cause les codes du roman classique en plaçant le lecteur et le narrateur en parti-prenants de l’intrigue et en bousculant les repères spatio-temporels. Résultat, comme les badauds du Grand Hôtel, on observe, on juge, on condamne. Pour renforcer ce sentiment, il arrive que la caméra quitte les protagonistes pour se promener dans l’hôtel. Le film brise le quatrième mur – non en s’introduisant dans la réalité, mais en nous plongeant dans la fiction.

L’immersion est renforcée par une mise en scène théâtral et une caméra dirigée à la perfection : les plans sont symétriques, les travelings lents sont parfaitement maîtrisés et la photographie du film, signé Sasha Vierny, est impressionnante de détails, de contraste et de précision. Vierny sait, comme personne, travailler les textures en noir et blanc, rendant chaque plan unique.

Seyrig et Albertazzi
Delphine Seyrig et Giorgio Albertazzi


Enfin, comment parler de ce film sans parler de son actrice principale, découverte par Resnais deux ans plus tôt : Delphine Seyrig ! Le bloc de glace le plus charmant et le plus émouvant qu’il m’ait été donné d’admirer ! Cette actrice, c’est Antoine Doinel (Antoine Doinel, Antoine Doinel), Moujik Man et Red China Man, le charme discret de la bourgeoisie, « … » (dans India Song) et bien sûr « … oui » dans L’année dernière à Marienbad.

Ai-je rêvé plus que je n’ai vu ? Quel fut l’impact du vin sur mon jugement ? Après tout, cet état semble courant, là-bas, à Marienbad et j’espère vous y croiser un jour, l’année dernière peut-être ?


Pala