jeudi 22 mai 2014

[Critique] Lahore – Souvenir des Indes

L'art de procrastiner en smoking...

J’ai souvenir d’un instant passé, une mémoire qui n’est pas la mienne, pour laquelle j’éprouve cependant une nostalgie profonde. Cet instant languissant, n’a duré que deux petites heures, a duré une vie entière. Avec India Song, j’ai vécu une parenthèse de pure mélancolie.

Si India Song est si pure dans le sentiment de procrastination dépressive qu’il procure, c’est avant tout dû à son auteur et réalisatrice : Margueritte Duras. Si j’ai aimé tout ce que j’ai lu et vu d’elle : d’Un barrage contre le pacifique à Hiroshima mon amour en passant par La bête dans la jungle (version avec Seyrig et Frey), je confesse que ma connaissance de son œuvre prolifique reste limitée. Pourtant, il me semble qu’il s’agit d’une des plus grands écrivains de la nostalgie des nuits alcoolisées (et même complètement camées). Il s’agit également, de ce que j’ai pu entendre, d’une des rares personnes capables de rivaliser avec Sartre en termes de snobisme et de déflorage d’insectes en tout genre.

Toujours à la limite du ridicule

Le film raconte l’histoire d’Anne-Marie Stretter (Delphine Seyrig), il raconte comment le vice-consul de France à Lahore, en Inde (Michael Lonsdale) déclare son amour à Anne-Marie, comment son refus le rend fou. Ces événements sont passés au moment du film, ils sont le souvenir de la narratrice.

Duras a su insuffler à India Song le sentiment du théâtre : cette virtualité qui ne veut pas paraître réaliste, mais à laquelle on veut croire et à laquelle on croit. Pour restituer la nostalgie de cette époque révolue, la réalisatrice utilise un procédé de mise en scène original : comme au théâtre, le film se découpe en tableaux. En leurs centres, les acteurs ne parlent pas, bougent peu, suggèrent. La voix off de la narratrice et la splendide musique de Carlos D’Alessio complètent le tableau et rendent cohérent le film muet et la bande son de l’histoire. A cela s’ajoute un splendide travail sur  la palette de couleurs à dominantes bleu/vert, rappelant sans difficulté le climat étouffant de l’Inde pendant la mousson (le film a été tourné en banlieue parisienne).

La musique magique de Carlos D'Alessio

Cette construction rend le film lent, très lent, même pour l’époque (1975). Nombreux sont les plans de plus d'une minutes pendant lesquels il n’y a que peu d’intrigue, juste une histoire qu’on nous raconte : le but du film n’est pas ce qui s’y passe, mais ce que l’on y ressent.

Aussi, à la manière de L’année dernière à Marienbad, India Song n’est pas un film accessible. Il oblige le spectateur à commettre un effort important pour le voir de bout en bout. Mais si vous êtes prêt à faire cet effort, vous serez très largement récompensé par le sentiment purement poétique qu’il véhicule.

India Song est un film d’une force peu commune, une expérience unique de cinéma, toujours à la frontière du snobisme (parfois au-delà), mais qui tente sincèrement d’atteindre le Beau. C’est un objet d’Art qui ne vaut que pour ce qu’il est : inutile et capital. N’est-ce pas la meilleure raison d’être de l’Art ?


Pala